JUSTINEJ'ai pris le train très tôt, un matin de février, pour aller retrouver Justine chez elle, en Allemagne. Nous avons passé une partie de la journée ensemble, comme si nous nous retrouvions après plusieurs années sans nous voir.
Avant même notre rencontre j'avais senti de sa part une immense générosité envers le projet et nos histoires à tous, et une envie de partager la sienne le plus sereinement possible, parce qu'elle se termine bien, et elle avait envie de dire que ça pouvait aussi arriver, une jolie fin. Dans la majorité des témoignages postés jusqu'à maintenant il y a une figure incontournable du secret, son pivot, qui détermine quasiment à elle seule des conséquences qui peuvent parfois être dramatiques. Les mères, sont constamment au centre de nos histoires. Comment ne le seraient-elles pas, elles qui sont à l'origine de notre secret, qu'elles l'aient créé ou subi? Dans l'histoire de Justine, sa mère aura tout fait pour l'accompagner à sa manière dans la découverte de la vérité et dans son besoin de connaître son père biologique. C'est, selon elle, ce qui a fait toute la différence dans ce qu'elle est aujourd'hui, et sur la façon dont elle s'est construite. Entre elles deux, la transmission ne s'est pas rompue, et malgré quelques tensions, le fil a été maintenu. Oui, parfois, tout se termine bien, on peut reconstruire le lien après la découverte de la vérité. Et ça fait du bien de le dire, de le savoir, de le partager. |
Mon histoire est la même, à peu de choses près, que celle de tous les autres témoins. J'ai découvert tardivement que je n'étais pas la fille de mon père, mais celle d'un autre homme, Claude, qui était le partenaire de bridge et ami de mes parents. C'était un secret, et c'est ma mère qui me l'a appris, après lui avoir tout simplement posé la question. Les doutes étaient là depuis des années, affleurant régulièrement. Claude était tout le temps dans le coin, et je le voyais tous les week-ends au cercle de jeu que fréquentaient mes parents. J'ai d'abord découvert, vers l'âge de 10 ans, que lui et ma mère avaient une relation : mon père est rentré un soir furieux, faisant un scandale à ce propos devant mon frère et moi. À l'adolescence ensuite, ce sont des questions récurrentes de la part de mon père encore, qui se sont gravées dans ma mémoire : il s'interrogeait sur la couleur de cheveux de mon frère, ou bien sur mon groupe sanguin. Ces questions ne trouvaient aucun écho chez ma mère, qui rejetait tous les sous-entendus sans appel, mais qui germaient en moi. Jusqu'au jour où j'ai entendu mon frère rire, comme si je ne l'avais jamais écouté auparavant. Son rire, c'était celui de Claude, et pas celui de notre père. J'ai alors pris mon courage à deux mains et j'ai posé la question à ma mère, ce n'était pas possible que ce rire soit juste une coïncidence. Nous étions en voiture, et elle m'a tout de suite révélé la vérité. Mon frère et moi étions tous les deux les enfants de Claude. Mon père ne le savait pas. Elle avait ses raisons pour avoir choisi de faire ses deux enfants avec cet autre homme, qui partageait avec elle le secret. J'ai été soulagée d'apprendre que j'étais sa fille à lui. Je l'avais toujours admiré, émerveillée par sa gentillesse envers moi. Mon père et moi, nous étions trop différents pour nous entendre, trop loin l'un de l'autre, pas connectés. Il a choisi une vie qui l'a détruit, et qui a brisé nos liens. C'est comme ça. Mes parents ont fini par divorcer. Je suis partie vivre avec ma mère, et Claude passait de temps en temps chez nous ; il savait que je savais, mais nous n'en parlions pas, et puis un jour ma mère l'a viré lorsqu'elle a compris qu'il ne quitterait jamais sa femme. Elle avait choisi de nous protéger, moi et mon frère, malgré tout. J'ai vécu longtemps sans avoir besoin d'être en contact avec lui, jusqu'à il y a une dizaine d'années. Tout à coup j'ai ressenti le besoin de le revoir. Je l'ai appelé, puis, grâce à l'intervention de ma mère, nous nous sommes revus quelques heures. Je n'avais rien de plus à lui dire, la boucle était bouclée, sans regrets. Je sais que sa fille Lili, qui me ressemble d'ailleurs physiquement, a donné à sa fille le même prénom que moi à la mienne. Les hasards de la vie... Voilà, j'ai eu le même parcours que les autres. À une différence près. Ma chance, c'est d'avoir eu l'amour de ma mère. Constamment, avant, pendant, et après le secret. |
« Quand le secret se révèle,
on a l’impression de découvrir quelque chose d’inouï et en même temps de l’avoir toujours su. » Ph. Grimbert |
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