CATHERINECatherine est rousse à la peau pâle. Quand on connaît son patronyme à consonance égyptienne, il y a de quoi être dérouté au premier abord, et je me suis demandé, longtemps avant de la rencontrer, de quel métissage elle était née.
Notre rendez-vous a été fixé un dimanche matin aux Halles, dans une brasserie vide à cette heure très matinale. Il n'y avait pas grand-monde. J'étais stressée, un peu impressionnée par cette jeune femme qui me paraissait si solide. Très vite nous avons dépassé le seul sujet du secret/révélation pour parler des conséquences intimes de cet évènement. Dans son cas, cela l'a amenée à se questionner longuement sur sa propre identité et sur le système de valeurs sur lequel elle s'était construite. Plus que le secret et les raisons qui le recouvrent, nous avons beaucoup parlé du lien au père et au patronyme, et de ce qui constitue notre identité dans la filiation. Parce qu'au-delà de la transmission du sang, d'un nom et d'une nationalité, reste cette question fondamentale: qu'est-ce qui fait de nous l'enfant d'un de nos parents? |
J'ai appris que je n'étais pas la fille biologique de mon père il y a cinq ans. Nous nous sommes toujours à peu près bien entendus, même si nos relations étaient devenues un peu plus compliquées ces dernières années, mais comme cela peut arriver dans n'importe quelle famille.
A priori rien n'aurait pu me mettre sur la piste du secret. C'est un enchaînement de circonstances assez étonnant qui m'a guidée. Mon père et moi avons déjeuné ensemble un midi, et j'ai alors capté quelque chose d'assez déstabilisant. À un moment donné, il m'a tout simplement regardé comme si je n'étais pas sa fille. Je ne peux pas le dire autrement, ce regard-là était différent de tous les autres. Le soir même, certaine de mon ressenti et agacée par nos rapports de plus en plus tendus, je me suis confiée à ma mère. Elle m'a tout raconté. J'ai appris que mes parents s'étaient rencontrés alors qu'elle était déjà enceinte. Mon père m'a reconnue et a exigé que je ne sache jamais rien de ma conception ni de cette reconnaissance ; respectant sa demande et craignant sa réaction si je l'apprenais un jour, ma mère n'avait jamais rien dit. Au fur et à mesure des années elle a peut-être senti que ce secret créait des tensions sans les nommer. Je pense qu'en me parlant, elle m'a permis de me libérer d'un poids et éviter que le secret ne prenne plus de place dans ma vie. Cette révélation a été une évidence pour moi. J'ai prévenu mon père le lendemain, et il a d'abord nié en bloc. Cela a été le point de départ d'une remise en question de tout mon système de valeurs et un questionnement intense sur mon identité. À tel point que j'ai entrepris des démarches pour changer de nom et prendre celui de ma mère, ce qui me semblait plus cohérent. J'ai finalement abandonné, parce que cela aurait supprimé le seul lien symbolique qui me reste avec mon père, c'est-à-dire son nom de famille. Quand je parle de seul lien, il s'agit bien de mon ressenti, car en réalité, ils sont bien présents... Et au-delà de ce mensonge par omission, il a toujours été un père très aimant. Mais il n'empêche, je ressens à son sujet une forte dette qui me met très mal à l'aise car c'est comme si je ne lui montrais pas assez de reconnaissance. Après notre discussion, ma mère a décidé de retrouver mon père biologique, pour que je puisse le voir. Quelques mois plus tard, j'ai pu le rencontrer et ça a été la seule et unique fois, je n'avais pas besoin de créer de lien avec lui. Connaître ses origines a été suffisant pour mieux me connaître. Aujourd'hui je témoigne pour partager : pour savoir qui l'on est, il faut savoir d'où l'on vient, c'est une certitude qui me permet d'avancer et de vivre enfin ma vie. |
« Quand le secret se révèle,
on a l’impression de découvrir quelque chose d’inouï et en même temps de l’avoir toujours su. » Ph. Grimbert |
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