MATTHIEUJ'ai rencontré Matthieu en 2011 et nous sommes tombés amoureux. J'étais heureuse de trouver, chez lui, une famille soudée qui se réunissait autour de dîners auxquels tout le monde était convié. Une façon de vivre différente de celle transmise par mes parents, plus spontanée, plus facile, moins codifiée. Sans gros secrets.
Très vite on m'a dit en souriant que Matthieu ne ressemblait à personne, « on ne sait pas d'où il tient son caractère ! » Une phrase banale, qu'on entend dans toutes les familles et donc a priori sans conséquence, une boutade pas vraiment méchante. Sauf que Matthieu ne ressemble vraiment à personne. Enfin si, il ressemble trait pour trait à l'homme qui le tient dans ses bras le jour de son baptême, sur le cliché qui se trouve dans un de ses albums photo. Cet homme ce n'est ni un oncle, ni un beau-frère, ni un cousin. C'était Bruno, l'ami de ses parents, de sa mère. C'était son parrain. Et probablement son père biologique. Bruno est mort depuis longtemps, quelques années après que Matthieu ait été baptisé, il a donc fallu s'armer de patience pour retrouver sa trace, et essayer de reconstituer son histoire avant son décès, celle d'un jeune homme de 20 ans amoureux d'une jeune fille de sa région, déjà mariée et mère d'un petit garçon, le frère aîné de Matthieu. La manière dont il a découvert la vérité nécessiterait à elle seule un autre portrait, mais ce qu'il veut partager aujourd'hui, c'est ce que ses recherches ont entraîné comme conséquences : le rejet quasi unanime de sa famille, de certains de ses amis, et l'impossibilité pour eux d'écouter son histoire, de l'aider, de comprendre son désarroi, et tout simplement, d'entendre la vérité. |
Depuis que j'ai découvert que je n'étais pas le fils de mon père mais probablement celui de mon parrain, je ne vois plus ni mes parents, ni mes frères, ni ma sœur, ainsi qu'une bonne partie des amis de la famille. En trois ans j'ai perdu pas mal d'illusions, mon sourire, mon job, et quelques années de vie.
Dans cet entourage proche, à part quelques personnes, on ne me parle plus. En réalité, ce n'est pas tellement qu'on ne me parle plus, c'est qu'ils ne veulent pas parler de ça, font comme si de rien n'était, comme si j'avais pété les plombs et que cette histoire, mon histoire, n'était qu'un détail, ou quelque chose que j'aurais inventé pour me faire remarquer. En tout cas, c'est quelque chose dont il ne faut surtout pas parler. Et mon silence en retour de leur indifférence, ils ne le comprennent pas. Le besoin que je ressens de tout mettre sur la table pour repartir sur d'autres bases, ils ne l'envisagent pas. La vérité, voilà tout ce que je veux. Et le pire dans tout ça, c'est que la vérité n'est pas si terrible. Pour beaucoup de raisons qui appartiennent à mes parents, cette vérité-là ne serait pas surprenante. Époque, mœurs, choix de vie, orientation sexuelle, tout dans l'histoire du couple qu'ils formaient aurait dû les autoriser à ne pas me mentir. Et c'est bien ça le souci, parce qu'à l'origine, il n'y a justement pas de problème. J'aimerais seulement qu'on en parle, qu'on m'écoute, qu'on m'entende, qu'on me raconte ce qui s'est passé, qu'on me rende mon histoire. Au lieu de ça, je suis jugé, mes démarches me sont reprochées, mes recherches critiquées, on me dit fou ou même manipulé. Évidemment, c'est plus facile de me décrédibiliser que de prendre le risque de faire vaciller toute la famille. Ce qui est étonnant, c'est que c'est ma mère elle-même qui m'a mis sur la piste en m'offrant cet album dans lequel j'ai retrouvé la photo de mon parrain. Cette photo, je l'avais sous les yeux depuis des années. Un jour je l'ai regardée différemment, peut-être parce que ma mère avait décidé d'éloigner la femme que j'aimais et que je cherchais une réponse à cette simple question : « Mais qu'est-ce qui lui prend ? » Et en feuilletant l'album un jour de rangement, j'ai tiqué sur la ressemblance physique avec cet homme, Bruno. Ça m'a troublé comme à chaque fois que je tombais dessus mais là, c'était la bonne. Et le fait de m'interroger ce jour-là m'a permis de regarder les choses différemment : tout à coup je voyais les événements de ma vie, de ma famille, nos petits arrangements, nos frictions, nos attentes, nos fâcheries, sous une autre perspective. À travers ce nouveau regard, plus rien ne collait. Et soudain, tout s'expliquait. On me cachait quelque chose et c'était là, à portée de main. Il a suffi de quelques coups de fil à des anciens amis et intimes de l'époque, pour que la parole surgisse, qu'on me dise à quel point je ressemblais à Bruno. On me parlait de son amour de la musique, sa gentillesse, on se souvenait de ses yeux verts. J'apprenais que tout le monde savait, sentait, se doutait. Ensuite, j'ai dû déconstruire l'histoire familiale pour en reconstruire une autre qui m'appartienne complètement, sans mensonges ni dissimulations. J'en paie le prix. Au pire on ne me croit pas, au mieux on s'interroge sur les raisons qui m'ont poussé à savoir. De ce passé qu'on a cherché à me cacher, ne restent aujourd'hui que les quelques autres clichés donnés par le père de Bruno, un test ADN attestant que je ne suis pas le fils de mon père, et un froncement de sourcils, celui dont j'ai visiblement hérité de l'homme sur la photo. |
« Quand le secret se révèle,
on a l’impression de découvrir quelque chose d’inouï et en même temps de l’avoir toujours su. » Ph. Grimbert |
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