NATACHALorsque j'ai lu le mail de Natacha j'ai immédiatement perçu entre les lignes de son message une farouche détermination à participer au projet.
C'est suffisamment rare pour être souligné, tant ces parcours sont parfois difficiles à partager. Cette rencontre est essentielle, elle nous apprend beaucoup : Natacha s'est totalement approprié cet évènement pour mieux le dépasser et ne pas se laisser envahir par les multiples interrogations qui l'ont assaillie. Elle a entrepris un travail psy pour l'aider à comprendre et intellectualiser ce qu'elle ressentait. Et c'est là je crois, la clé de sa reconstruction : mettre de la distance avec ce passé à moitié révélé pour pouvoir l'analyser, et ne pas se laisser happer par les mécanismes à l'oeuvre dans les secrets de famille. Culpabilité, confusion, attentes, Natacha a repris le contrôle sur ces mécanismes destructeurs à long terme. elle a aussi beaucoup réfléchi sur ce que signifiait le lien biologique: doit-on vraiment nouer une relation avec le parent retrouvé? Et si oui, à quel prix? Son témoignage je l'espère, permettra à d'autres adultes concernés de mieux comprendre et gérer certains sentiments contradictoires que l'on peut ressentir dans ce genre de situation pas vraiment banale. Il est normal de passer par toute la palette des émotions, et de se retrouver à la place d'un enfant de six ans qui voudrait tout faire pour retrouver l'un de ses parents.. Aujourd'hui elle raconte cette histoire avec beaucoup d'humanité, et je la remercie pour cette confiance et toute sa sincérité... |
Il y a un peu plus d'un an j'ai retrouvé mon père biologique, quelques mois après avoir appris que je n'étais pas la fille de mon père. À partir du moment où nous nous sommes rencontrés, j'ai souhaité créer une vraie relation avec lui, que l'on devienne quelqu'un l'un pour l'autre.
Pendant l'année qui vient de s'écouler, je n'ai pas cessé de nourrir l'espoir de tisser un lien avec cet homme qui avait pourtant été totalement absent de ma vie pendant quarante-quatre ans. J'avais eu un père bien sûr, mais qui était décédé l'année de mes vingt ans, et avec lequel j'avais toujours entretenu une relation un peu distante. Je voulais que ça fonctionne. J'en crevais d'envie. Construire une relation avec mon père biologique me permettait de combler le vide de la figure paternelle : peut-être que moi aussi, je pourrai avoir un père comme celui de mes amies, présent, réconfortant, aimant. Je me suis donc adaptée à ses exigences, même s'il reconnaissait notre lien, il était trop tôt de son côté pour en parler à sa femme et à son fils. Je suis restée le secret. Il fallait que j'attende ses signaux, ses appels, ses emails me notifiant que je pouvais l'appeler. Je me retrouvais dans une situation qui me mettait très mal à l'aise. J'attendais, comme la maîtresse d'un homme marié attend que son amoureux trouve le temps de la contacter. Sauf que je n'attendais pas un coup de fil de mon amant, mais de mon père. Très vite j'ai étouffé dans cette situation qui ne m'apportait rien. Je suis devenue anxieuse et angoissée. Alors même que le secret n'en était plus un, je me retrouvais contrainte de dissimuler notre lien parce que de son côté, mon existence restait cachée. Tout, dans l'attitude de mon père biologique, me renvoyait au secret et à ma position d'enfant caché. Au début, il avait pourtant semblé déterminé à reconnaître mon existence auprès de ses proches, mais plus les mois passaient et plus je sentais que ses appels étaient dictés par une forme d'obligation. "Je t'appelle comme prévu", me disait-il. Comme prévu... Comme s'il me devait quelque chose. Comme une obligation envers moi. Plus il repoussait le moment de parler de mon existence et plus je me débattais dans des sentiments contradictoires : l'adulte que je suis comprenait bien l'ambivalence de cette relation et sa nocivité, tandis qu'au fond de moi, je me sentais comme une petite fille désoeuvrée, qui attendait de son père un signe de reconnaissance. J'étais en souffrance et en colère, je ne voulais plus attendre quelque chose qui n'arriverait pas. Alors j'ai décidé de m'écouter et de ne penser qu'à moi. Je lui ai écrit une lettre comme on lance une bouteille à la mer, pour lui expliquer tout ça et lui dire que je préférais continuer mon chemin seule plutôt que de vivre une vie dans l’attente. Parce que si je suis certaine de savoir ce que moi, j’attends, je ne suis pas sûre du tout de savoir ce que lui espère de cette situation. Il a réagi à ma lettre, promettant de parler à sa femme et son fils. Qu'il avait besoin de temps... La seule victime dans cette histoire, c'est moi. Je reste un enfant que l'on cache. Pour sa famille à lui, je n'existe pas. Quelque part, je suis toujours un secret. |
« Quand le secret se révèle,
on a l’impression de découvrir quelque chose d’inouï et en même temps de l’avoir toujours su. » Ph. Grimbert |
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