NICOLASNicolas* a récemment appris qu'il n'était pas le fils de son père.
Rien n'aurait pu laisser présager qu'il apprenne un jour la vérité, c'est encore une fois un enchaînement d'événements qui lui a permis de découvrir ce qu'on lui dissimulait : une discussion entre proches qui allume une mèche et qui, petit à petit, fait émerger sa véritable histoire. Quelques proches dans sa famille maternelle étaient au courant depuis plusieurs années, mais il semble que personne ne le soit du côté de sa famille paternelle. Nicolas a eu beau questionner autour de lui, le secret semble partiellement bien gardé. À ce secret d'origine s'ajoute donc celui de se taire, puisqu'il ne souhaite pas le révéler à ceux qui ne savent pas. Il a entrepris de son côté de chercher l'homme dont sa mère a été amoureuse et qui serait son père biologique. C'est sa tante, son oncle et sa marraine qui ont été le plus en mesure de lui donner des informations, mais celles-ci restent ténues : le prénom d'un homme, ses origines, sa profession, et son visage sur une photo des années 70. Sa mère n'étant plus là pour lui raconter, il fait le chemin seul pour remonter le fil de son histoire, apprendre, savoir, comprendre. C'est une quête admirable parce que difficile : une fois que l'on sait, on ne sait rien de plus que la vérité. Il reste à reconstruire son identité avec cette nouvelle information. Certains décident de rechercher leur parent biologique, et quand on s'engage dans ce chemin, c'est une quête solitaire, qui reste incompréhensible pour beaucoup de gens. À quoi ça sert, de retrouver un autre père? Nicolas est convaincu qu'on ne peut pas faire abstraction de son identité génétique. Il porte la trace de cet homme dans son sang, c'est pour cette raison qu'il met tout en oeuvre pour le retrouver. Son cheminement pour s'approprier son histoire et protéger une partie de sa famille nécessitant du recul et de la discrétion, son portrait restera anonyme. *les noms ont été changés |
Je me suis toujours senti à part dans ma famille paternelle, différent du clan que formaient mon père, sa sœur, ses deux frères et leurs parents.
Quand ils se renfermaient sur eux-mêmes, moi je n’aspirais qu’à m’évader, à voyager. Et c’est toujours le cas : ils vivent entre eux, alors que je suis le seul à être véritablement parti pour vivre une vie différente, qui me correspondait réellement, peut-être aussi pour éloigner ce sentiment d’étrangeté. Mes liens avec ma famille maternelle sont différents. C’est d’ailleurs d'eux que vient l’annonce de la vérité sur mon père. J’ai toujours été très proche de ma grand-mère et de mon oncle qui m’ont beaucoup donné. « Les chiens ne font pas des chats. » Quand ma tante a prononcé cette phrase à table il y a trois ans, je n’ai pas compris. Je venais de raconter pour la enième fois combien je me sentais différent de la famille de mon père, et en prononçant ces quelques mots, personne n’a vraiment réagi, ni mon oncle ni ma grand-mère. Moi non plus à vrai dire, mais ses mots m’ont interpellé. J’aurais pu ne plus y penser, et ça serait resté une de ces phrases toutes faites qu’on énonce pour meubler la conversation. Mais pas ce jour-là. Le soir même je l’appelle pour qu’elle m’explique. Au téléphone, elle et mon oncle me parlent d’une histoire de groupe sanguin, m’exhortant à me rappeler cette question que je leur aurais posée un jour : « Un enfant peut-il avoir un groupe sanguin différent de celui de ses parents ? ». Je ne m’en rappelle absolument pas, mais ma tante insiste tellement qu’elle finit par me dire, en réponse à cette question imaginaire, que c’est impossible. Derrière elle, j'entends mon oncle qui répète dans le haut-parleur : « C’est dur d’apprendre ça comme ça. » Mais d'apprendre quoi? Je raccroche et je repense au groupe sanguin. Pour en avoir le cœur net j'appelle mon père, et sous un prétexte quelconque je lui demande de me donner le sien et celui de ma mère. Ils sont tous les deux A+. Ça n'est pas possible. Je suis B+. C'est mathématique. Logique. Biologique. J'appelle ma marraine, je lui parle de nos groupes sanguins. Long silence au bout du fil, au point que je me demande si elle est encore en ligne. Et puis, sa voix enfin: « Je pensais qu’elle te le dirait, mais elle est partie. J’avais promis de ne rien dire... Tu en sais trop maintenant. » Elle me parle alors de Jean, dont ma mère était amoureuse, l'impossibilité pour elle de quitter sa vie dans le Nord pour devenir femme d’avocat à Paris. Son mariage avec un autre homme, Jacques, qui m'a reconnu, élevé. Jacques, qui reste mon père. Les langues se délient, mon oncle m'envoie une photo de famille, prise quelques mois avant ma naissance, sur laquelle on distingue ma mère assise à côté de Jean. De lui, on ne me donne que quelques informations: avocat, d'origine turque, avec de la prestance, capable de s'exprimer en anglais avec ma marraine anglaise. Ma grand-mère, à qui je montre la photo, fait semblant de ne pas comprendre, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus nier connaître la vérité. Mais je n'en saurai pas plus, tous ont tourné la page, et puis j'avais un père après tout, les apparences étaient sauves. Je n'ai que peu d'éléments à ce jour, mais j'ai décidé de le chercher. J'ai pu avoir accès à quelques archives, sans succès pour le moment. Je ne peux pas m'empêcher de faire un parallèle entre moi et cet homme a priori Turc et avocat à Paris. Un immigré parti de chez lui pour un monde meilleur? Le voyage fait partie intégrante de ma vie, j’ai fait des études de droit et je vis à Paris. Loin, très loin de mon milieu d'origine. Mais peut-être proche de celui de Jean, ce père inconnu. |
« Quand le secret se révèle,
on a l’impression de découvrir quelque chose d’inouï et en même temps de l’avoir toujours su. » Ph. Grimbert |
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