SÉVERINEL'histoire de Séverine* est liée à celle de son père, Jean-Toussaint. Un joli prénom, peu commun, qui lui a été donné pour célébrer sa naissance après que sa mère ait fait de nombreuses fausses couches, un prénom destiné à l'encenser et le protéger. C'est ce que dit la légende familiale.
Il y a dix, ans, Séverine organise un long week-end pour fêter l'anniversaire de son père avec sa mère, son frère et sa belle-sœur. Un voyage en famille pour marquer le coup, un véritable retour aux sources dans la ville de sa naissance, et qui va changer leur vie. Mais ni lui ni sa fille n'auraient pu imaginer qu'un simple voyage aurait permis à cette légende familiale de se fissurer. Le secret se révèle souvent quand on s'y attend le moins, et de la manière la plus inattendue qui soit. Un mot qui s'échappe au cours d'un déjeuner, une photo qu'on découvre lors d'un déménagement, une attitude ou un geste qui trahit, la vérité a mille façons de se manifester. Et puis parfois, il suffit juste d'un voyage comme on peut en faire dix fois dans sa vie, et d'un malheureux hasard qui contraint à refaire ses papiers d'identité et à y découvrir quelque chose qu'on n'avait jamais vu, mais qui était pourtant bien là à portée de main. L'histoire de Séverine et de son père, c'est celle d'un enchaînement de coïncidences, qui leur ont permis de retrouver leur véritable identité. Quand le château de cartes s'écroule, il y a tout à reconstruire, des racines à retrouver, une nouvelle vérité à s'approprier, et puis au bout, une belle réconciliation avec ses origines. *les noms ont été changés |
Il y a dix ans, pour célébrer les 70 ans de mon père, plutôt qu’un énième cadeau, j’ai proposé de faire un retour aux sources et de passer le weekend en famille à Marseille, sa ville natale. Quatre jours passés à flâner, revoir sa maison, les voisins, les paysages, sentir les parfums.
Le dernier jour, nous quittons l’hôtel, chargeons les bagages dans la voiture et prenons la direction du vieux port. Il est dix heures du matin, il fait doux, c’est le printemps. Le temps est suspendu. Le trafic est dense et nous nous retrouvons bloqués au feu, au 1 avenue de la Corse, quand deux scooters freinent à notre hauteur. Deux hommes ouvrent violemment les portes de la voiture. Le temps s’arrête. En une minute, nous n’avons plus de sacs, de bagages, de billets de train. Et plus aucun papier d’identité. Une agression courante selon la police, mais un choc pour nous. Nous rentrons à Paris. Dès le lendemain, mon père refait faire ses papiers. Il reçoit très vite son extrait d’acte de naissance mais il y a une erreur dans le nom de sa mère, épelé Lambertson, alors qu'elle s’appelle Lambert, « sans le son », si j’ose dire! Furax, il demande une copie intégrale avec filiation, document qu'on ne demande jamais, pour la bonne raison qu'on n’en a jamais besoin. Jamais, sauf quand on se marie. Mais pour son mariage en 1969, c’est sa mère qui avait souhaité tout gérer : « Ne t’inquiète de rien, je m’occupe de tout ! ». Et elle avait tout arrangé, sachant certainement qu’on pourrait y lire l’indicible, le document contenant tout l’historique et les détails de la filiation d'un individu. Mon père reçoit finalement son acte de naissance complet, et en quelques lignes son château de cartes s'effondre. Au centre, on y lit: Jean-Toussaint B., né à Marseille le 3 janvier 1937 de mère : Joséphine B., née le 13 mars 1912 à Bastia (Corse). Pas de nom du père. Et en marge, rajouté à la main : Jean–Toussaint B., s’appellera dorénavant Jean-Toussaint T., par l’adoption le 14 février 1942 d’Édouard T. et Marie-Jeanne Lambert son épouse. "Marie-Jeanne Lambert son épouse". Le T de "Lambert" et le S de "son épouse" se chevauchent dans les pleins et les déliés de cette écriture ancienne et se confondent presque, il semble qu'il manque un espace, comme une faille dans laquelle la vérité a pu s'engouffrer, favorisée par une seconde d'inattention de la mairie au moment d'envoyer le premier document. Un espace manquant, et c’est 70 ans de vie et de mensonges qui se sont écroulés en un instant. C'est la première fois que j'ai vu mon père pleurer. « Je suis un bâtard » m’a t-il dit, comme un aveu. Il a eu beau chercher dans ses souvenirs, retrouver des photos de lui petit, il n'y avait rien, il n'y avait pas de photos. Nous avons appris toute la vérité quelques mois plus tard, après avoir retrouvé Joséphine, 96 ans, qui était toujours en vie avec un sacré tempérament – il faut bien ça pour survivre à l’abandon d’un enfant. Elle nous a raconté l'aventure avec le père biologique de mon père, la honte d'être enceinte et pas mariée, la grossesse cachée sur le continent, la volonté de le reconnaître, et puis le manque d'argent, la guerre qui arrive, cinq années qui passent et la vérité qu'on ne peut plus avouer, la guerre encore qui pousse à abandonner son enfant à celle qui voudra bien l'adopter. Joséphine est partie en paix quelques mois après nos retrouvailles, et nous avons fait connaissance avec une famille corse remplie d’amour et de générosité. Merci la vie. Je sais maintenant d’où je viens, d’où viennent ces yeux, ce caractère affirmé et ces tout petits nénés... |
« Quand le secret se révèle,
on a l’impression de découvrir quelque chose d’inouï et en même temps de l’avoir toujours su. » Ph. Grimbert |
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