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28/3/2017

 
Il y a quatre ans à cette heure-ci je me réveillais à Larchmont, une banlieue de New-York. Arrivée la veille, j'avais pris le train de Grand Central pour retrouver ma famille d'accueil, la même que celle qui m'avait hébergée plus de 20 ans auparavant lors de mon premier séjour à l'étranger. C'est marrant, les cycles de la vie : en posant le pied par terre, dans ce sous-sol aménagé en chambre d'amis, je me suis dit la même chose que des années avant: " Ils sont quand même vachement hauts, les lits aux Etats-Unis ".

Il y a quatre ans à cette heure-ci j'appelais ma fille pour lui fêter son anniversaire, dans un appel longue distance qui lui semblait venir de l'autre bout de la terre. Pour la première fois je ne serais pas là le jour J, pour embrasser son front et ses joues rebondies. En raccrochant avec elle, je pensais au jour de sa naissance, et à ce qui allait se passer dans ma vie dans quelques heures, et qui ressemblait fort à une renaissance. La boucle allait être bouclée.

Il y a quatre ans à 14:00, heure locale je sortais du métro. L'air était doux, j'avais du soleil plein les yeux et j'étais trop habillée. J'avais froid, chaud, froid et et encore chaud. Carolyn était venue avec moi, prête à me retrouver si besoin, m'attendant sagement dans un café pas trop loin. On s'était quittées ado et on se retrouvait adultes à vivre un des moments les plus importants de ma vie. On avait fraudé dans le train pour venir, ça nous avait fait marrer.


​Il y a quatre ans je traversais le hall d'un hôtel de luxe, pile à l'heure au rendez-vous qu'il m'avait fixé. Je ne savais pas si j'allais le reconnaître, puisque je ne l'avais jamais vu de ma vie. Je ne savais pas trop quoi faire de mes mains, mes bras, mes jambes et mes pieds. Trop grande, trop godiche, pas trop lents ou trop pressés. Ce n'est pas facile de s'y préparer. Et si je ne le reconnaissais pas? S'il me voyait et qu'il partait? Si ce type ne me plaisait pas? Et je l'ai vu à l'endroit où je m'y attendais le moins, dans ce recoin sur la droite en entrant. Je me suis retournée au moment même où je passais devant. Enfin, à côté.
C'est bizarre, de retrouver quelqu'un que vous ne connaissez pas. Quelqu'un avec qui vous n'avez aucun enjeu, si ce n'est celui de vous raconter vos histoires, votre histoire, puisque c'est la même. C'est pire qu'un enjeu, c'est toute sa vie qu'on joue aux dés. Est-ce qu'il pourra un tout petit peu m'aimer comme je suis?

Il y a quatre ans, à quelques pas de la 5e avenue, j'ai rencontré mon père biologique pour la première fois.
​C'est un peu mon anniversaire aussi aujourd'hui.
Photo
© Genaro Bardy
Et pourtant, cette recherche m'a coûté.
Plusieurs fois j'ai bien failli tout laisser tomber : j'avais beau chercher dans tous les sens, il était introuvable. Je ne compte plus les soirées à fouiller le web et les archives pour trouver la moindre piste, le plus petit indice, une trace, quelque chose pour me faire tenir. 
Comment on fait pour retrouver un père qui ne vous connaît pas?
C'est difficile.
Parce que personne ne peut vous aider.
Votre famille ne comprend pas, vos amis minimisent les faits.

"Mais à quoi ça va te servir?"
"Tu as un père, il t'a élevée, c'est dur de lui faire ça!"
"Tu ne veux pas arrêter de remuer ces vieilles histoires?"

"Ce n'est pas si grave, ce qui t'arrive."

Il y a beaucoup de configurations différentes, quand on décide de partir à la recherche de son parent biologique après la révélation d'un secret. Très souvent on ne s'en sent pas le droit. On a peur de blesser sa famille, peur de blesser celui qu'on retrouve, peur de gêner, peur de poser des questions. On s'excuse avant même d'avoir essayé quoi que ce soit. On se sent terriblement isolé. Comment on fait quand on ne dispose que d'un nom et d'un prénom? Le monde entier devient une botte de foin, et on devient dingue à force de ne penser qu'à ça.

J'ai traversé quelques années compliquées, autour de moi on ne comprenait pas ce besoin viscéral de savoir d'où je venais. Quelles sont mes origines, d'où vient mon père, quelle est son histoire familiale?
Et moi? 
À qui je ressemble avec mes longues jambes, mes yeux ronds et mes cheveux blonds?

Tant que d'autres se poseront le même genre de questions je continuerai ce projet.
Parce que cette quête un peu désespérée, beaucoup d'autres personnes la traversent. Seuls.
C'est nécessaire de reconstruire son puzzle identitaire quand tout vient de voler en éclats. Ce n'est pas anodin, d'apprendre qu'on n'est pas l'enfant de celui, ceux, que l'on croyait. Les lignes bougent, celles de sa famille, celle de ses valeurs autour de la vérité, du mensonge et des secrets, celle de sa propre présence au monde. C'est un immense puzzle qu'il faut reconstituer.


Le mien est loin d'être terminé. Beaucoup de mes questions sont restées sans réponse. Retrouver mon père n'a pas été une fin en soi. Mais ça m'a permis de placer cette petite pièce qui traînait dans un coin, celle qu'on n'arrive jamais à poser sur le plateau, celle au milieu des 1.499 autres pièces du modèle.
​

J'ai le temps, tout le temps, puisque depuis ce jour-là,  je sais un peu mieux qui je suis.

Photo: © Genaro Bardy

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« Quand le secret se révèle, 
on a l’impression de découvrir
quelque chose d’inouï et en même temps 
de l’avoir toujours su. »

Ph. Grimbert

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