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c'est quoi, un secret de famille?

19/6/2017

 
Entre non-dits, mensonges, révélations et vérités, s'il y a bien un sujet qui intrigue, c'est celui de ces secrets si particuliers. Dans ma bibliothèque se côtoient aussi bien les ouvrages de Serge Tisseron et d'Anne Ancelin Schützenberger, que les romans de Philippe Grimbert et de A.M. Homes, des classiques quand on s'intéresse à ce genre d'histoires et d'évènements. Mais si le sujet est connu, c'est rare voire impossible d'en trouver une lecture qui sorte des sentiers battus. C'est pourquoi, de la même manière que le projet donne un nouveau moyen d'expression aux témoins qui participent à cette galerie, il me paraissait indispensable de vous faire découvrir d'autres manières de regarder et d'analyser ce sujet. L'entretien qui suit est riche en pistes inexplorées, grâce à l'expertise et la sensibilité de Guillaume Grenier, psychothérapeute en Gestalt, que j'ai rencontré pour échanger sur les questions soulevées par l'existence d'un tel secret.
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Quelle serait la définition d'un secret de famille?

​On l’oublie souvent, un simple dictionnaire nous donne souvent beaucoup plus que des définitions. Il nous permet de revenir à la source du mot. L’étymologie m’émerveille à chaque fois, car elle contient souvent toutes les clés. Les mots ou expressions sont avec le temps modifiés, utilisés dans différents contextes, ils s’éloignent ou perdent de leur substance originelle, l’étymologie, pour moi, c’est l’émotion primaire, le goût des mots.

Ainsi par exemple, pour secret de famille.
Secret vient du latin Secretus, de SENECERE. « SE » sépare, et « NECERE » distingue. Secretus, c’est la mise à part.
Il est intéressant de noter que la racine est commune avec le verbe couper.
Se sentir à part, différent, coupé (de quoi ? Chaque histoire est ensuite différente), sont des termes qui reviennent bien souvent chez les personnes concernées par un secret avant qu’ils ne le découvrent.
Est-ce surprenant ? Pas vraiment à mon sens. Pour tout secret, il y a bien ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, deux groupes dont la frontière est le secret. Cette césure selon la nature ou la gravité du secret, aura tendance à s’ancrer, émotionnellement, corporellement, pour passer de réalité à ressenti.
Mais tout effet à sa polarité ! S’il sépare ceux qui savent de ceux qui ne savent pas, le secret unit entre eux ceux qui savent. Autour d’un secret se créé la solidarité d’un sous-groupe pour le protéger. L’isolement total est insupportable à quiconque, et rares sont donc les cas où le détenteur du secret est vraiment seul. On découvre souvent lorsque les secrets se révèlent, un oncle, une tante, une marraine…, qui savait. Selon moi, ce n’est pas le secret qui est trop lourd à porter quand on décide de le confier à un tiers, mais c’est l’isolement et le sentiment de solitude qu’il génère qui deviennent trop lourds et nécessitent tôt ou tard de le partager.

Et famille alors ?
Allons voir : « ensemble des personnes unies par un lien de parenté ou d’alliance. »
Mais encore : « ensemble des générations successives descendant des mêmes ancêtres. »
Enfin, à l’origine sous l’empire romain, la famille désigne l’ensemble des esclaves appartenant à un même maître.
La famille serait donc l’opposé du secret, c’est ce qui unit, pas ce qui sépare. Elle protège en évitant l’isolement de ses membres. Le secret de famille a ceci d’extrêmement lourd qu’il isole son porteur de ce qui est censé l’unir aux autres, il coupe le lien. La deuxième définition, avec la descendance, donne la notion de transmission, d’héritage. On hérite d’une culture familiale, de coutumes, de caractères, de biens matériels, on hérite également des secrets.
En quoi enfin, l’origine romaine de la famille liée aux esclaves me paraît intéressante ?
Elle induit la notion de soumission. Bon gré mal gré, nous sommes tous soumis à la famille puisqu’elle est garante de notre survie ! Nous lui sommes redevables. L’esclavagisme illustre ce poids. Un esclave sans maître, avant d’être libre, et aussi cruel que cela puisse paraître, n’était plus nourrit ni protégé, il n’était plus rien.
 
Créer un secret au sein d’une famille, c’est un jour choisir de renoncer au risque de la liberté par crainte du bannissement. Ce faisant, on en reste à la fois membre et séparé des autres par ce mur invisible et résistant qu’est le secret.
​


Est-ce que cette crainte du bannissement pourrait expliquer que les secrets de famille en général et ceux liés à la filiation en particulier restent si souvent tus, dissimulés comme s'il ne fallait jamais prendre le risque de se voir banni soi-même (soi = initiateur du secret) et surtout, de voir son enfant renié de la lignée familiale? 

​​J’y vois quelque-chose d’instinctif, d’animal presque…
Que place-t-on sous le voile du secret ? L’inacceptable ou le précieux.
On tait ce que l’on estime inacceptable par les autres afin d’éviter le rejet, la mise au banc. On cache le précieux afin de le garder pour nous, qu’on ne nous le prenne pas.

Dans le cadre d’un secret de filiation, il y a les deux, l’inacceptable ET le précieux, deux notions antinomiques (antinomie que l’on retrouve d’ailleurs souvent dans la relation parent-enfant lorsqu’ils décrivent ce sentiment d’attachement extrême et de rejet).
Pourquoi, alors qu’une fois l’enfant devenu adulte, que les « dangers » à l’origine du secret sont écartés et que l’on pourrait imaginer un soulagement à le dire, ce dernier continue à être dissimulé ? Pourquoi constate-t-on une telle résistance, réticence, voire agressivité à donner la vérité à son enfant ?
Il ne m’est pas difficile d’imaginer qu’avec les années, le danger en fait, change de camp, et qu’on se retrouve, une fois son enfant devenu adulte, face à une situation pire que celle à l’origine du secret.
C’est l’enfant lui-même, l’objet du secret, celui pour qui il a mis une énergie considérable afin de le protéger, qui pourrait, s’il découvrait l’inacceptable, le rejeter, le bannir. Le précieux que l’on craignait nous voir enlever s’en irait de lui-même.


​
On a l’impression qu’un secret de famille finit toujours pas être découvert. Soit révélé par les initiateurs, soit découvert y compris des années après leur disparition, par un hasard, une photo dans un vieil album qui fait tilt… il y a toujours une personne pour confirmer les suspicions. Tout secret de famille est-il condamné à être découvert un jour ? Le hasard, la providence sont-ils les « ennemis » du secret ?
​
​Cette question fait appel selon moi à l’un des fondements théoriques de la méthode thérapeutique que je pratique : la théorie de la forme, ou gestalt-théorie.
Pour résumer au plus simple, tout système, toute forme aurait naturellement tendance à l’harmonie afin de permettre la perception ou la conception de « la bonne forme ».
L’interruption de ce mouvement vers l’harmonie d’une forme laisse en suspend une énergie, une « poussée » vers cet achèvement. C’est l’effet Zeigarnick. Or à chaque occasion qui lui est donnée, cette énergie se réactive et fait pression à nouveau pour s’achever harmonieusement (une gestalt achevée).

​Un secret de famille dès lors, peut sans doute être considéré comme l’interruption d’une forme. Qu’un être humain grandisse en ayant la complète connaissance de son histoire pourrait sembler une forme achevée de manière harmonieuse. Le secret viendrait interrompre cela et laisserait donc cette fameuse énergie pousser, lutter pour la connaissance complète, y compris après des décennies les initiateurs disparus ! Le « je sens que quelque chose cloche », le « je m’en doutais », cette photo qui tombe de l’album, ou celle vue mille fois mais qui un jour va interpeller sans raison apparente, sont pour moi cette énergie d’achèvement qui s’immisce, pousse partout où elle le peut.
​Le hasard, l’intuition sont, je pense, d’excellents signaux que « quelque chose essaie de se faire, de se dire... 
»


Guillaume GRENIER est psychothérapeute en Gestalt, à Paris.

Pour en savoir plus :
Serge TISSERON, Les Secrets de famille
Anne ANCELIN SCHÜTZENBERGER, Aïe, mes aïeux !
Philippe GRIMBERT, Un Secret
A.M. HOMES, Le Sens de la famille

Les commentaires sont fermés.
« Quand le secret se révèle, 
on a l’impression de découvrir
quelque chose d’inouï et en même temps 
de l’avoir toujours su. »

Ph. Grimbert

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