Bande de Bâtards
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ton pÈre n'est pas ton pÈre

20/2/2018

 
Cette phrase, elle résonne chez beaucoup de ceux que je rencontre dans le cadre du projet, qu'ils témoignent ou pas. J'ai rencontré Stéphanie il y a quelques mois. Lors de notre entrevue, nous avons remarqué que nos parcours étaient très similaires, jusque dans notre volonté de vouloir à tout prix comprendre les mécanismes du secret. C'est, je crois, ce qui nous a toutes les deux permis de transcender cet évènement pour en faire une sorte de richesse : ou comment la résilience peut donner de la force vitale. Nos échanges ont été tellement riches que je lui ai proposé d'en retranscrire une partie ici. N'hésitez pas à réagir à cet échange en nous écrivant!
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Comment as-tu appris que tu n'étais pas la fille de ton père?
L’histoire remonte à mon enfance. Vers l’âge de 8 ans, l'une de mes meilleures amies d’école m’a dit sans détour :
« Ton père a dit à mon père que tu n’étais pas sa fille. »

Cette phrase est restée longtemps ancrée dans ma tête sans pouvoir en sortir. Elle est tellement restée en suspens qu’il m’a fallu quelques années pour la digérer, l’intégrer et commencer mon processus de doute. Je n’y avais pas plus prêté attention à l’époque et surtout je n’avais pas osé en parler à mes parents. J’ai même pensé que j’avais été adoptée.


Tu n’as rien dit du tout ? Parce que ça te paraissait vrai, ou parce que ça te paraissait fou ?
Parce que ça me paraissait fou! J’ai donc vécu avec. Je me rappelle de ces moments de discussion avec ma meilleure amie pendant mes études, quand je lui disais à l’époque que j’avais des doutes. Et puis ça repartait, je n'y pensais plus, mais quand ça revenait, c'était de plus en fort. Comme si je ressentais au fond de moi ce malaise sans arriver à le résoudre. Comme une vague qui frappe la digue, inlassablement, jusqu'à ce qu'elle se brise.

Quand as-tu ressenti le besoin d’en parler ? Ou en tout cas, l'urgence de ne plus te taire?
Après avoir assisté à une réunion de famille en 2016, j'ai eu une conversation avec une de mes cousines, que je n'avais plus vue depuis des années, et dans ses mots, dans sa façon de me parler de mon père, il y avait quelque chose qui ne collait pas. Comme si elle me mettait sur une piste sans me donner la boussole... Cette conversation m'a de nouveau convaincue que je devais chercher quelque chose dans ma filiation, et je suis rentrée chez moi plus déterminée que jamais pour faire un test d’ADN avec mon frère.
Il m’a pris pour une folle quand je lui en ai parlé. J’ai du le convaincre en lui disant qu'au pire on en rigolerait, si je me trompais. Autant vous dire que ma petite conscience intérieure avait hélas bien raison : je n’étais pas la fille de mon père…

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As-tu eu des difficultés à réaliser le test ADN ? 
Non,  j’ai choisi une société sur internet, située en Belgique, après avoir fait un comparatif de toutes celles que je trouvais dans mes recherches. Ils m'ont envoyé un kit par courrier, et j'ai ensuite dû renvoyer les échantillons vers leur laboratoire d'analyses en Angleterre. C'était très simple finalement, par contre le procédé est très impersonnel, on reçoit les résultats en pdf par email avec les conclusions du test... C'est totalement déshumanisé.
 
Comment ta mère a-t-elle réagi à la levée du secret?
Pendant mes phases de doute, j’avais une seule fois osé lui poser la question. Elle n’avait alors pas du tout vacillé, me répondant juste que mon père était bien mon père. La voyant murée dans son secret (ou pas, car au final je ne savais pas), j’ai préféré mener mon enquête seule, car je sentais bien au fond de moi que quelque chose n’allait pas. Je voulais la confronter à ma réalité et à sa réalité.
Par conséquent, une fois le test ADN réalisé, je lui ai proposé de venir passer quelques jours chez moi. Je ne voulais pas lui en parler par téléphone. Autant dire que la semaine qui a précédé son arrivée a été la semaine la pire de ma vie... Juste après qu'elle soit descendue du train, autour d’un café, je lui ai dit que je savais que mon frère et moi n’avions pas le même père. Elle a tout de suite repris sa posture de mère en me disant que ce n’était pas sûr... J'ai dû lui montrer le résultat du test ADN pour appuyer mes mots, et elle a bien dû accepter de reconnaître la vérité. Mais au final, elle-même n’avait jamais su, et avait vécu dans le doute toutes ces années...
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Sais-tu pourquoi elle gardait le secret?
Elle était dans le déni plutôt que dans la volonté de cacher cette histoire. Elle avait un doute, mais elle a accepté de vivre avec : est-ce que j’étais la fille de son mari, ou celle de son amant ? Au final, le plus important pour elle était d'avoir la fille qu’elle avait toujours désirée, et cela lui suffisait.

La levée du secret a-t-elle changé vos relations?
Oui bien sûr, on ne sort pas indemne de ce genre de révélation... Je suis passée par différentes phases vis-à-vis d’elle : la colère d'abord, quand j’ai découvert le résultat du test. Puis la compensation, quand elle m’a raconté son histoire et son amour fou pour mon père biologique. Après ces deux premières phases, j’ai plongé dans l’incompréhension et le questionnement, voire de nouveau la colère. Et je lui en ai voulu. Je sais qu’elle ne savait pas vraiment, mais je lui en ai voulu d’avoir vécu 43 ans dans le mensonge, le déni et le déséquilibre. Je ne lui reprochais pas du tout son adultère, mais juste d’être restée murée dans son mensonge. Et puis l’après a été dur, je me suis sentie très seule face à tout ça. Seule pour intégrer, seule pour digérer et vivre comme si rien ne s’était passé, tourner la page, avancer, vivre avec. 

Aurais-tu aimé le savoir avant?
Bien sûr. Quand j’ai su, j’ai eu l’impression pour la première fois de ma vie de marcher à nouveau sur mes deux pieds, de retrouver mon corps en entier, de ne plus être coupée en deux. Donc oui, j’aurais aimé ne pas vivre ça. J’aurais aimé l’intégrer plus tôt dans ma vie et surtout, rencontrer mon père plus jeune…

Comment intègres-tu le fait d'avoir désormais "deux pères"?
Mon père, celui qui m’a élevée, est mort quand j’étais jeune, donc j’ai eu le temps de faire le deuil et de vivre sans lui. Donc, c’est comme si ma vie était coupée en deux : ma vie avant le secret, et ma vie après le secret, avec à chaque fois un seul père. Je pense que s’il était encore vivant, je n’aurais sûrement pas été jusqu’au bout, de peur de lui faire du mal.
J’ai bizarrement longtemps eu mauvaise conscience de découvrir un nouveau père, comme si je ne pouvais pas en aimer un autre. D’ailleurs, je n’arrive pas à appeler mon nouveau père "papa"…
 

Quelle a été ta réaction, tes attentes, vis à vis de ton père biologique?
Mes attentes ont été immenses, même si je ne me l’avouais pas. Au début, je voulais juste le rencontrer. Le fait qu’il accepte était déjà une bonne nouvelle dans ma reconstruction.
Mais ensuite, la petite fille en moi a vite repris le dessus sur l’adulte que j'étais, et je me suis mise à attendre une reconnaissance de sa part.
J’ai mis du temps à me l’avouer, mais je voulais qu’il m’intègre dans sa famille ; que je rencontre mon demi-frère, mes tantes, mes oncles, que je fasse partie intégrante de son monde. L’attente et l’espoir ont été très durs à vivre. Car plus les mois passaient, plus nos coups de fil s’espaçaient, et plus j’attendais quelque chose qui n’arrivait pas : la levée du secret de son côté.

 
Est-ce que le fait qu'il garde le secret t'empêche de nouer une relation avec lui?
Oui, sans aucun doute. Le fait de partager quelques moments volés au gré de mes venues sur Paris ne nous a pas permis de nouer un lien fort. Nos conversations au téléphone se limitent aux choses de la vie. J’aurais rêvé pouvoir l’appeler pour lui parler de mes projets, pour aller découvrir une expo avec lui, pour déjeuner de temps en temps avec sa famille. Mais j’ai vite compris que c’était un rêve.
Dans la nouvelle chanson des Brigitte, elles chantent: "aime-moi ou libère-moi". C’est exactement ça.
 

En tant qu'adulte, que ressens-tu face à ces "adultes" qui ne percent pas le secret?
En tant qu'adulte, je comprends, car on sait tous que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Et de la même façon, je ne jugerai jamais l’histoire de ma mère.
Mais, les conséquences sont tellement graves sur les enfants que je ne peux pas m’empêcher de leur en vouloir.
Qu’ils gardent le secret d’accord, mais n’oublions pas que nous, enfants, en sommes les premières victimes. Eux sont libérés, mais nous…? J’ai longtemps travaillé sur mon côté perfectionniste, qui avait une légère tendance à entraver ma vie, et bizarrement, quand cette levée du secret s’est faite, j’ai repris mes vieilles habitudes, pour retrouver mes vieux démons comme pour me recréer ma carapace. J’ai essayé malgré tout de trouver de l’équilibre dans ce déséquilibre. 


Qu'est-ce que cela a modifié chez toi, dans ton histoire?
Je crois beaucoup en la résilience, je suis sûre que ce qui ne te tue pas te rend plus fort. Alors on peut dire que je me sens plus équilibrée, mais je dois avouer que parfois, cette histoire me rattrape. Je pensais m’en sortir seule mais j’ai dû aller voir une psy pour canaliser l’angoisse terrible que je ressentais, celle dans laquelle me plongeaient l’attente des appels et des signes de mon père. Je me sentais oppressée.
On me pose souvent la question si je regrette, au vu de tout ce que cela a engendré, mais je sais avec certitude que la réponse est non… Car je sais aujourd’hui qui je suis, et c’est le plus important pour continuer à avancer dans la vie…

 

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« Quand le secret se révèle, 
on a l’impression de découvrir
quelque chose d’inouï et en même temps 
de l’avoir toujours su. »

Ph. Grimbert

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